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    Mes dernières news, c'est évidemment l'arrivée de mon dernier bébé "enfants de l'ombre", paru chez Rebelle éditions le 6 juin 2016. Pour mon 4ème roman, je suis retournée à mes premières amours, mon domaine de prédilection, l'anticipation.

    Mais comme dans tous mes romans (sauf peut-être le chemin à l'envers qui m'a été inspiré de faits réels), j'ai tenu à faire passer certains messages. Je n'écris pas uniquement pour raconter des histoires, même si mon but premier est d'extirper mes lecteurs de leur quotidien pour les emmener vers mes univers variés. J'ai toujours besoin, au travers de mes écrits, d'exprimer mes idées sur des sujets de société actuels, même si je les transporte dans l'avenir quand j'écris un roman d'anticipation.

    Sans me spolier moi-même, je pourrai quand même dire que j'ai écrit "enfants de l'ombre", (sans savoir à l'avance jusqu'où cela m'emmènerait), c'était avec l'idée de répondre à une question qui m'a traversé l'esprit, un jour où je me baladais (la promenade est souvent source d'inspiration pour moi) : "une personne foncièrement mauvaise aurait-elle pu être quelqu'un de bien si elle était née dans un autre milieu, si elle avait vécu des situations différentes, ou était-elle destinée à être mauvaise quoiqu'il arrive ?" L'un de mes personnages principaux, Owen Bellay, est hanté par cette question et cherchera par tous les moyens à y répondre, profitant de sa position importante au sein d'une société occulte qui détient une grande partie des richesses mondiales.

    Une petite mise en bouche pour vous donner envie de lire mon roman, ça vous dit ? Je vous offre le premier chapitre, si la suite vous tente, vous pouvez vous procurer "enfants de l'ombre" sur le site de Rebelle édition, ou sur amazon, fnac ou toute autre plateforme de vente de livres... sarcastic

    "— Owen, mange ta soupe.

     

    Le ton de sa mère était péremptoire. Il porta la cuillère à sa bouche, baissa la tête. Il n’avait plus faim, le potage était infâme, mais il ne dit rien, elle avait sa tête des mauvais jours. Il ne le fit pas exprès, mais une goutte de liquide jaunâtre atterrit sur la table en s’échappant de ses lèvres. Owen fronça les sourcils, il savait ce qui l’attendait. Le coup partit, sans un mot. Elle frappait toujours en silence.

     

    — Disparais tout de suite, je ne veux plus te voir ni t’entendre, ajouta-telle en désignant de l’index le placard à chaussures, la bouche tordue par un rictus menaçant.

     

    Owen sursauta, poussa un cri, s’assit brusquement, mains crispées sur les draps. C’était encore une de ces saletés de cauchemar ! Bon sang, c’était terminé depuis longtemps tout ça, il avait quitté la maison à dix-huit ans, sa mère était morte quelques mois plus tard sans qu’il l’ait revue, sans qu’il soit allé à son enterrement. Plus jamais elle ne le terroriserait, plus jamais elle ne lèverait la main sur lui, alors pourquoi revivait-il les mêmes scènes, toutes les nuits depuis plus de vingt ans ?

     

    Il prit le parti de se lever, de faire quelques pas pour oublier ces images si réelles. Il y avait un minibar dans la chambre. Il l’ouvrit, regarda les bouteilles une à une, choisit finalement une petite brique de jus d’orange, puis alluma le téléviseur et se recoucha en sirotant sa boisson à la paille. Le programme télé était sans intérêt à cette heure-ci. 2 h 30, il ne serait pas frais demain matin pour plaider s’il ne se rendormait pas rapidement.

     

    Il éteignit tout, se concentra sur sa respiration, tenta de faire le vide dans ses pensées. Mais derrière ses paupières closes, des bribes de sa vie lui revinrent en mémoire. Rien ne servit de les chasser, elles revinrent en force. Il y eut d’abord l’image floue de son père, un homme immense aux bacchantes impressionnantes, les cheveux grisonnants et un rire tonitruant, disparu bien trop tôt, alors qu’Owen avait sept ans. Ils n’avaient jamais manqué de rien financièrement, car Conrad Bellay était riche, très riche même. Mais sa jeune femme avait d’autres chats à fouetter que de s’occuper d’un gosse.

     

    Pourtant, avant la mort brutale de son père, Owen avait de vagues souvenirs d’une maman tendre et douce, qui riait quand il l’embrassait dans le cou et le couvrait de baisers avant de dormir. Ils avaient beaucoup pleuré ensemble dans les semaines qui avaient suivi le décès de Conrad, mais très vite Louna Bellay avait montré des changements de caractère importants, alternant de longs moments d’apathie et des colères fulgurantes et injustifiées.

     

    L’absence de son père était déjà très dure pour le petit Owen, mais la peur de sa mère devint plus forte encore. Mais malgré les punitions répétées et les violences soudaines, il l’aimait encore de tout son cœur à cette époque, surtout lorsqu’elle lui accordait un peu de tendresse et s’excusait du mal qu’elle lui faisait. C’est pour cela qu’il ne disait rien quand des étrangers lui posaient des questions, il voulait la protéger.

     

    Au fil des mois, elle était devenue de plus en plus cruelle avec lui, mais s’il cachait toujours son désarroi aux autres, ce n’était plus pour les mêmes raisons qu’au début. Louna Bellay terrorisait son fils en lui promettant de terribles représailles s’il parlait. Et puis il était certain que personne ne le croirait s’il se plaignait, car la belle Louna donnait en public l’image d’une mère aimante et active, équilibrée et bien dans sa peau. Elle gardait l’autre facette d’elle-même, vulgaire, cruelle et destructrice, pour les moments où personne ne pouvait rien remarquer. Pour cela, Owen avait fini par la détester.

     

    Les seuls moments de répit pour Owen, chaque soir après l’école, s’annonçaient enfin quand il la voyait s’installer dans le canapé, remonter une manche et s’injecter un produit à l’aide d’une aiguille dans le bras. Après cela, Louna Bellay redevenait inoffensive, elle gardait les yeux ouverts mais restait étendue sur le canapé, sans bouger ni rien dire. Quand Owen allait se coucher, seul, sans un geste d’intérêt, elle n’avait pas bougé d’un pouce. 

     

    Heureusement, il y avait l’école, un endroit accueillant où la peur n’existait pas. Owen avait toujours aimé étudier et chaque soir, lorsqu’il rentrait de classe, il s’isolait dans sa chambre pour y faire ses devoirs, consciencieusement. Il n’attendait surtout pas d’aide de sa mère, seulement qu’elle ne l’empêche pas de se concentrer. Cela s’était souvent révélé épineux, car celle qui l’avait mis au monde prenait un plaisir sadique à lui couper toute envie d’apprendre.

     

    Dans ses crises de démence, il lui était arrivé de déchirer ses cahiers et de jeter ses crayons au vide-ordures. Elle lui criait ensuite qu’il pouvait se permettre d’être un bon à rien, que même s’il ne savait ni lire ni écrire, son héritage travaillerait pour lui et le tapis rouge serait déroulé à chacun de ses pas, quoi qu’il fasse.

     

    Bien sûr, il ne comprenait pas ce qu’elle disait à cette époque, mais l’envie de tout savoir, tout comprendre, était plus forte que tout. Alors il recollait les morceaux, recopiait ce qui n’était pas récupérable, dès qu’elle avait le dos tourné. Il trouvait ensuite des prétextes pour expliquer à ses enseignants l’état déplorable de son matériel scolaire. Et lorsque sa mère était convoquée à l’école, elle inventait n’importe quoi avec un grand sens de la conviction pour se dédouaner, faisant passer son fils pour un sale garnement colérique.

     

    Cela lui avait valu quelques punitions, mais il avait tenu bon car sa fierté d’enfant refusait d’avouer que sa mère n’était pas comme les autres mamans, et puis il avait tellement envie que son père soit fier de lui s’il le voyait de là-haut.

     

    Quand il était enfant, Owen croyait en Dieu, comme ses camarades d’école, même si sa mère refusait catégoriquement qu’il bénéficie d’une éducation religieuse. Cette foi l’avait pourtant quitté depuis longtemps. Comment un Dieu aurait-il pu exister et avoir mis sur terre autant de crapules ? Le monde était corrompu de la base au sommet, Owen était bien placé pour le savoir depuis qu’il exerçait le métier d’avocat. Les petites gens volaient pour manger, truandaient pour avoir un peu de superflu. Les riches s’y prenaient plus sournoisement, mais leur but était le même : avoir plus d’argent, plus de pouvoir, et pour cela, il leur fallait dérober aux plus pauvres, sans états d’âme.

     

    Comme eux, Owen n’avait pas de scrupules, il avait sciemment décidé de défendre la poignée d’individus qui se partageaient l’ensemble des richesses mondiales, pour renforcer sa propre fortune. Parce qu’elles ne rapportaient pas suffisamment, les petites causes ne l’intéressaient généralement pas, sauf s’il y trouvait un intérêt particulier.

     

    Aujourd’hui, sa réussite était éclatante, il possédait tout ce qui était payable, et pourtant cela ne l’empêchait pas d’être seul au monde. Si l’oubli pouvait avoir un prix, s’il pouvait se racheter un passé ordinaire, avec une mère saine d’esprit, tout serait tellement différent, il en était certain, il saurait s’aimer, aimer les autres…

     

    *

    *      *

     

    — Joannie ? Faites vite s’il vous plaît, mon taxi est sur le point d’arriver à l’aéroport. À quelle heure mon prochain rendez-vous ?

    — 17 h, maître.

    —  J’y serai largement. Quel dossier ?

    —  Un nouveau client, monsieur Liang Song.

    —  L’objet de notre rendez-vous, Joannie ?

     — Une opération chirurgicale qui a mal tourné d’après lui. Il souhaite se retourner contre le chirurgien.

     — Classique. OK, merci Joannie. Mon avion atterrit à 15 h 52, envoyez-moi quelqu’un à l’aéroport, et pas en retard si possible.

     — C’est comme si c’était fait, maître, je vous souhaite un bon voyage.

    —  Merci Joannie.

     

    C’était plutôt intrigant, un Chinois qui prenait un Occidental comme avocat. Même s’il était l’un des meilleurs, il n’en demeurait pas moins que les Chinois s’adressaient à des avocats chinois en cas de litige.

     

    Owen glissa la monnaie dans la main du chauffeur, empoigna solidement sa valise et se faufila dans la foule. Il était 12 h 30, son avion décollait dans une heure, il lui restait suffisamment de temps pour avaler un sandwich avant de s’envoler. Ça ne vaudrait pas un vrai repas, évidemment, mais il pourrait tout de même se remplir l’estomac en attendant ce soir. C’était souvent comme cela les jours où il plaidait, surtout quand il devait se rendre dans une autre ville, il n’avait pas souvent le temps de déjeuner correctement.

     

    L’affaire de ce matin n’était pas encore gagnée, mais il était content de lui, il avait su retourner la situation à son avantage, créer un bel effet en démontrant que son client, Bill Town, un richissime industriel, avait été trompé à plusieurs reprises par sa si charmante femme de trente ans de moins que lui.

     

    Owen avait mis bien plus de zèle que d’habitude dans ce dossier, l’épouse de son client lui rappelait bien trop sa propre mère, une jeune femme imbue de sa personne, sans cœur, ayant parfaitement réussi ses manigances pour se faire épouser par un milliardaire et profiter au maximum des avantages de la situation. Sept années de simulacre de mariage et l’ancienne mannequin avait demandé le divorce et des millions de dollars en prime.

     

    Tyler Miles était un excellent avocat, il avait presque réussi à apitoyer les jurés en dressant un portrait de Bill Town peu avenant. Froid, exigeant, pingre, l’homme aurait fait mener une vie impossible à sa pauvre femme. C’est vrai que son vieillard de mari n’était plus qu’un débris d’être humain, c’est à peine s’il tenait encore debout, mais il avait encore la tête sur les épaules et il avait bien mâché le travail à Owen.

     

    Quel plaisir il avait éprouvé à démontrer que Cherry était loin d’être une sainte ! Trois amants au moins durant les deux dernières années, des sommes folles dépensées dans des futilités, Owen s’était délecté en voyant la surprise dans le regard des jurés. Son client devrait s’en tirer à bon compte avec une telle plaidoirie, Owen était content de lui, très content même. Il avait pris une sorte de revanche contre sa mère.

     

    *

    *      *

     

    Cleveland. Euclid Avenue. Il était enfin arrivé à bon port. Le taxi était à l’heure, le trafic fluide à cette heure-ci, tout était parfait. Joannie se leva de son fauteuil pour l’accueillir.

     

    — Vous avez fait bon voyage, maître Bellay ?

     

    Son sourire sonnait faux, comme chez pratiquement toutes les femmes. La cinquantaine, elle n’était pas jolie, trop maigre, stricte dans son tailleur gris vert, le chignon sévère, cette femme n’avait aucune fantaisie, aucune personnalité non plus. Mais elle avait bien d’autres qualités qui suffisaient à Owen pour l’apprécier. Elle n’hésitait pas à faire des heures supplémentaires, encaissait sans broncher les sautes d’humeur de son patron et ne tentait pas d’abuser de ses charmes pour obtenir une augmentation. Depuis dix ans, elle était fidèle au poste, c’était celle qui avait résisté le plus longtemps.

     

    Elle lui tendit le journal, lui proposa un café. Owen remercia et s’isola dans son bureau, il lui restait une demi-heure pour prendre connaissance des nouvelles et profiter d’un moment de calme avant de se remettre au boulot.

     

    L’avocat aimait son bureau. La température y était toujours parfaite, le mobilier confortable et fonctionnel. Il y passait tellement d’heures dans la semaine qu’il avait mis le prix dans chaque objet pour s’y sentir chez lui. Il lui arrivait d’ailleurs de piquer un somme dans son fauteuil, durant sa pause du midi, après avoir avalé un sandwich et un café. Vingt minutes lui suffisaient généralement pour recharger les batteries.

     

    Sur les murs, des reproductions de tableaux de maîtres lui apportaient un peu de nature ou d’exotisme. Monet, Cézanne et Van Gogh se côtoyaient pour le seul plaisir de ses yeux. Oui, il était bien ici, presque mieux que dans sa petite maison située au beau milieu de la verdure, à quelques kilomètres de là, à Chillicothe Road.

     

    Owen feuilleta le journal, surtout les pages sportives et les faits divers. Les articles de politique attendraient ce soir, devant un verre de Coca bien frais peut-être. Les querelles de petits politiciens qui croyaient détenir le pouvoir l’intéressaient fort peu, mais il se devait d’être au courant des derniers potins des économistes de pacotille, c’était indispensable dans sa position.

     

    L’interphone sonna. C’était Joannie.

     

    — Maître, votre prochain rendez-vous est arrivé avec un peu d’avance. Je vous l’envoie ?

    — Cinq petites minutes et c’est bon, je termine mon café.

     — Bien, maître.

     

    Pourtant, le café était déjà bu et la tasse froide. Owen ouvrit le tiroir de son bureau, en sortit un miroir, un peigne fin. Il aimait être irréprochable pour chaque client, c’était comme un rituel. La glace lui renvoya l’image d’un homme de trente-huit ans plutôt bien de sa personne, une coupe de cheveux nette, une mèche sombre retombant juste au-dessus de son œil droit.

     

    Les yeux noirs, de longs cils recourbés, un sourire charmeur dont il veillait à ne pas abuser auprès des femmes, la peau mate, le menton pointu et la bouche fine, il se plaisait à lui-même, c’était indéniable. Il plaisait aussi au sexe opposé et cela, c’était bien plus gênant.

     

    L’idée de devoir entamer une relation autre qu’amicale avec une femme lui hérissait tous les poils du corps. Il n’était pas homosexuel pour autant, mais c’était plus fort que lui, il fuyait l’adversaire féminin, car il s’agissait bien d’un adversaire pour lui, et le plus redoutable qui soit.

     

    Ses besoins sexuels, il tentait de les devancer en rendant régulièrement visite à des professionnelles. Étonnamment, il parvenait à oublier ses phobies dans les bras de prostituées. Il analysait cela par le fait qu’il n’y avait aucun risque avec de telles femmes, pas de manipulations, pas d’attachement possible, juste un acte commercial comme un autre. Il achetait son plaisir comme d’autres s’offraient une pâtisserie.

     

    Certes, il arrivait que l’acte sexuel se termine un peu violemment, surtout s’il n’avait pas prémédité la relation. Et puis cela arrivait seulement quand il ne s’était pas soulagé depuis trop longtemps, c’est d’ailleurs pour cela qu’il n’attendait pas que l’excitation soit trop forte pour anticiper la montée d’hormones.

     

    Il passa machinalement un coup de peigne sur sa mèche pourtant impeccable, rangea ses accessoires, puis fit disparaître le journal au fond du caisson de son bureau.

     

    — C’est bon, Joannie, faites entrer notre client, fit Owen en s’approchant de l’interphone.

     

    Une minute plus tard, l’avocat se tenait devant la porte de son bureau et priait l’homme de s’asseoir confortablement.

     

    — Monsieur Liang Song, c’est bien ça ? interrogea Owen avec un sourire très professionnel. Je vous écoute, en quoi puis-je vous être utile ?

     

    Le gars, d’une petite cinquantaine d’années, regarda Owen par-dessus ses petites lunettes rondes. Ses yeux étaient minuscules mais intelligents, bridés comme s’y était attendu l’avocat.

     

    — Voilà, commenta l’homme en relevant son pantalon jusqu’au genou droit.

     

    Owen, surpris, émit un sifflement.

     

    — Belle cicatrice. Que vous est-il arrivé ?

    — Une ligamentoplastie ordinaire, expliqua le client avec un léger accent asiatique. Du moins au départ. Un an plus tard, mon genou s’est mis à enfler et à me faire terriblement souffrir. J’ai dû être hospitalisé d’urgence, c’est le docteur Mong qui m’a opéré, il était sidéré des dégâts qu’il a trouvés à l’intérieur, d’après lui, le premier chirurgien m’a massacré, ce sont ses propres termes. J’ai apporté avec moi tous les documents médicaux. Il s’agissait du docteur Aaron. À cause de cet incompétent, j’ai dû arrêter de travailler durant deux années entières. Le préjudice est énorme. Je compte réclamer réparation.

    — Que faites-vous comme travail ?

    — Je suis chercheur.

     

    L’homme échappa un petit rire aigu en fronçant le nez, ce qui eut pour effet de remonter ses lunettes de plusieurs centimètres et de creuser deux rides sinueuses sur chacune de ses joues.

     

    — À vrai dire, je ne cherche plus, j’ai trouvé.

    — Et qu’avez-vous trouvé ? demanda poliment Owen.

    — Notre équipe travaille dans le clonage, commença alors le scientifique d’un ton passionné. Cela représente un grand espoir pour la médecine, dans quelques dizaines d’années, ce sera un moyen parfaitement efficace pour guérir énormément de maladies. Bien sûr, les pays occidentaux ont un problème d’éthique avec le clonage, ce n’est pas notre cas en Chine puisque ce genre d’information n’arrive jamais aux oreilles de la population. Nous autres cultivons bien mieux les secrets que vous, les médias ne fourrent pas leur nez partout, c’est sans doute pour cela que nos études scientifiques dans le domaine du clonage ont pris une sérieuse avancée sur le reste du monde. Mais les chercheurs gagnent beaucoup moins d’argent qu’en Occident, c’est le revers de la médaille. J’ai donc quitté mon pays il y a dix années pour gagner plus et c’est vrai que de ce côté-là, je n’ai pas à me plaindre, mon niveau de vie est incomparable, mais je regrette l’aspect passionnant du travail. Ici, la moindre idée un peu révolutionnaire est tout de suite bloquée par vos soucis d’éthique.

     

    L’avocat se redressa sur son siège, prêta une attention non feinte aux propos de son client.

     

    — Quand vous parlez d’avancée sur le reste du monde, vous voulez dire que les études portent sur des embryons de combien de semaines ?

    — Officiellement, nous avons stoppé les expériences juste avant les neuf mois de gestation.

    — Mais c’est horrible, s’insurgea Owen avec une grimace dégoûtée. Ce sont des êtres vivants, des bébés qui pourraient vivre si on poussait l’expérience un peu plus loin ?

    — Ils le pourraient oui. D’un point de vue strictement humain, vous avez raison d’être effrayé. Mais si l’on avait écouté tous les objecteurs de conscience et tous les déontologues en tout genre, l’Homme ne serait toujours pas sorti de l’âge de pierre. Quand on veut faire avancer la science, il faut accepter de faire des sacrifices. Procéder à des expériences sur des fœtus n’appartenant à personne n’est pas pire que d’injecter des maladies et des médications dont on ne connaît pas les effets à l’avance sur des rats, des souris ou même des chiens. L’opinion publique s’insurge toujours lorsque les médias lui servent des discours négatifs et des images d’expériences sur des êtres vivants, mais quand on propose ensuite au commun des mortels de sauver ses propres enfants avec des traitements parfaitement au point, tout le monde ferme les yeux et oublie ce qu’il a vu et entendu. De très nombreuses maladies longtemps mortelles ont été éradiquées de cette manière, et personne ne s’en plaint à présent. Eh bien ce sera exactement pareil pour le clonage dans dix ou vingt ans, je suis prêt à tenir le pari.

     

    L’homme avait parlé avec une passion très convaincante. Les mimiques qui ponctuaient ses phrases amusaient Owen, mais les paroles du Chinois n’en étaient pas moins intéressantes pour cela.

     

    — Vos remarques ne sont pas fausses je le reconnais, tout au moins sur le principe, commenta Owen en se grattant le menton. Mais vous pensez que si le résultat de vos expériences avait été poussé jusqu’au bout, les enfants qui en seraient nés auraient été normaux ? Sur les animaux, la réussite n’a pas été totale il me semble, je me trompe ?

     — Il ne faut pas croire tout ce qui est dit dans les médias, répliqua l’homme en riant à nouveau. Je n’ai évidemment pas vu de mes propres yeux les résultats de toutes les expériences, mais j’ai entendu parler officieusement de plusieurs enfants nés du clonage plusieurs années avant mon départ de Chine. Ils se portaient tous bien il y a encore peu de temps. Pas plus de maladies que les autres enfants de leur âge, un développement physique et mental tout à fait ordinaire. Nous sommes tout à fait au point dans ce domaine, seulement le public n’est pas prêt à entendre cela, et puis cela pourrait donner des idées à certaines personnes suffisamment riches pour se payer ce genre de folie.

    — C’est vrai, l’argent paie tout et on ne sait jamais où peuvent mener les délires des hommes. Bien, le sujet est passionnant, mais revenons à notre affaire si vous le voulez bien. Faites-moi voir les documents médicaux dont vous me parliez tout à l’heure.

     

    Le Chinois s’exécuta. Il ouvrit la mallette qu’il tenait fermement entre ses pieds depuis le début de l’entretien, en sortit des chemises cartonnées. Owen prit quelques minutes pour passer en revue les divers documents contenus, puis se racla la gorge.

     

    — Bien, dit-il. Il va me falloir un peu de temps pour examiner attentivement tout cela. Je vois que vous m’avez exposé par écrit toutes vos doléances, c’est parfait. Mais je me dois de vous avertir que ce genre de procédure peut coûter extrêmement cher. La partie adverse réclamera des contre-expertises qui seront à vos frais si vous perdez l’affaire. Je n’accepterai de vous défendre qu’après avoir évalué nos chances de gagner. Si elles sont infimes, je vous conseillerai de tout arrêter.

    — Je peux gagner, le docteur Mong me l’a assuré, je vous ai mis tous ses courriers dans la chemise rouge. Tout y est très clair, l’erreur médicale y est démontrée.

    — C’est possible, je tenais juste à vous mettre en garde. Je vous recontacterai d’ici quelques jours pour vous dire ce que nous pouvons faire.

     

    Owen se leva, s’avança vers son client, lui tendit la main et lui ouvrit la porte. L’entretien était terminé.

     

    L’avocat était satisfait. Il avait fait son devoir en prévenant le Chinois qu’il ne le représenterait peut-être pas si l’affaire se présentait mal, mais c’était juste par principe. Le dossier était intéressant juridiquement parlant et si après une étude complète des pièces apportées par le client, il s’avérait qu’il avait de bonnes chances de remporter la bataille, et enfin si le service comptabilité lui confirmait la solvabilité de monsieur Song, alors il prendrait l’affaire. Le client serait content, il ne paierait pas la première consultation, mais les autres seraient à la hauteur des ambitions d’Owen.

     

    Il était 17 h 45, le prochain client arriverait dans un quart d’heure.

     

    — Joannie, il reste du café ? bipa Owen.

    — Bien sûr, maître, je vous l’apporte.

    — Merci, Joannie, vous êtes une perle.

     

    Owen était un bel hypocrite, mais il pensait ce qu’il disait en ce moment. Joannie était une véritable perle. Le café arriva deux minutes plus tard. Owen le dégusta en fermant les yeux, par petites gorgées, puis il reposa la tasse. Les yeux lui brûlaient, sa dernière nuit agitée commençait à lui peser sur les paupières. Alors il croisa les bras sur sa poitrine, mit son fauteuil en position semi-allongée et se força à imaginer la mer se brisant tranquillement sur une plage de sable fin, à entendre les cris d’enfants jouant dans l’eau.

     

    Il avait vu cela dans une émission télévisée un jour, il suffisait, pour se relaxer quelques minutes dans la journée, de fermer les yeux et de penser à quelque chose d’agréable. C’était vrai, cela marchait généralement bien pour lui.

     

    Pourtant, les choses ne furent pas si simples ce jour-là. La mer s’imposa au début, mais la voix du Chinois, son rire aussi, commencèrent à gagner du terrain. Cet homme l’intriguait au plus haut point, ses activités n’étaient franchement pas courantes, à la limite dérangeantes. Owen sentait instinctivement que l’individu avait dû tremper dans des expériences scientifiques pas très nettes.

     

    Owen se secoua, chassa le flot de pensées désagréables qui prenaient tout à coup des directions imprévues. Un frisson lui parcourut le dos, et le froid n’était pour rien dans son malaise. La sonnerie étouffée de l’interphone retentit, venant à point pour le ramener à la réalité.

     

    — Monsieur Macferson est arrivé, lui apprit Joannie.

    — Bien, faites-le entrer, répliqua Owen en soupirant.

     

    La réalité prenait toujours le dessus, c’était peut-être mieux ainsi. Il devait être bien fatigué pour se laisser aller à des idées aussi saugrenues.

     

    La porte du bureau s’ouvrit, laissant apparaître le dernier client de la soirée."

     

     


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